Innover pour exister face aux expositions blockbusters : l'interview exclusive de Bruno David, P
Bruno David, Président du Muséum National d'Histoire Naturelle, analyse le rôle de l'innovation dans les expositions "évènement", à l'instar de l'exposition "T-Rex", qui présentait pour la première fois en France un T-Rex de 67M d'années et a attiré 340 O00 visiteurs entre Juin et Novembre 2018.
L’INNOVATION EST-ELLE UN OBJECTIF QUE VOUS RECHERCHEZ PARTICULIÈREMENT ?
L’innovation est un moyen et non une fin en soi. Le Muséum est un établissement public et il se doit de porter un message scientifique. J’ai coutume de dire que notre mission consiste à émerveiller pour instruire. Le recours à l’innovation est tactique en ce qu’il permet d’attirer l’attention du public sur un discours scientifique, que ce soit par des objets, comme le rhinocéros ayant appartenu à Louis XV présenté dans la Grande galerie de l’Évolution, ou avec des moyens plus modernes comme la réalité virtuelle. Les oeuvres n’ont même pas besoin d’être spectaculaires ni esthétiques pour marquer les esprits. Prenez un caillou, en apparence insignifiant : il est en réalité un fragment de la météorite Allende tombée au Mexique en 1969, plus ancien que la Terre elle-même, et dont certaines inclusions sont plus anciennes que le Soleil. L’émotion suscitée par des objets comme celui-ci est pour moi fixatrice de mémoire : c’est à travers elle que l’on va se souvenir de phénomènes scientifiques et d’épisodes historiques dont les objets témoignent.
"L'émotion suscitée par des objets est pour moi fixatrice de mémoire"
QU’EST-CE QUE L’INNOVATION POUR VOUS ? COMMENT SE TRADUIT-ELLE DANS LES EXPOSITIONS ?
L’innovation est tout ce qui est nouveau, ce qui n’a encore jamais – ou rarement – été fait ailleurs. C’est sortir des sentiers battus. L’exposition « Espèces en voie d’illumination » du Jardin des Plantes est innovante car nous sommes le premier établissement à proposer ce type d’expérience de visite en France, sur des représentations d’animaux réels, ayant existé ou existant. L’exposition « T-Rex », qui a rencontré un succès remarquable, est aussi innovante dans la mesure où elle présente l’histoire singulière d’un T-Rex original, dont nous connaissons le sexe et la « trajectoire personnelle », attestée par ses fractures des côtes, ses problèmes d’arthrose, ses traces de morsures. Incontestablement, la beauté et le caractère spectaculaire de ce T-Rex original ont marqué les visiteurs, mais c’est bien l’ensemble de l’exposition avec sa dimension numérique et ludique qui a permis de prolonger l’expérience des visiteurs.
"L'innovation par le numérique est complémentaire des pièces et des spécimens que nous exposons"
QUELLE DOIT-ÊTRE SELON VOUS LA PLACE DU NUMÉRIQUE DANS LES DISPOSITIFS MUSÉOGRAPHIQUES ?
L’oeuvre originale et sa matérialité sont essentiels. Elles sont la raison d’être des musées. En dépit du développement du numérique, qui permet d’observer tous les détails d’une oeuvre en haute résolution par exemple, les visiteurs continuent de se déplacer dans les musées parce qu’ils recherchent l’émotion que suscite une oeuvre physique. L’innovation par le numérique, comme la salle de réalité virtuelle que nous avons installée de façon permanente dans la Grande Galerie, est complémentaire des pièces et des spécimens que nous exposons. Elle est un outil au service de la narration et d’une amplification de l’expérience du visiteur. L’intérêt des propositions numériques telles que de la réalité virtuelle est de s’inscrire dans l’air du temps, d’attirer des publics différents et de les amener de façon séduisante au discours d’instruction qui est au coeur de notre mission